Le CHU de Béjaïa vient d'être distingué à l'international dans le domaine de la qualité de la gestion et des soins en étant lauréat du prix World Quality Commitment catégorie Or.
La Dépêche de Kabylie : Comment avez-vous fait pour obtenir cette distinction et que signifie-t-elle pour vous?
A.D : Tout d’abord, je dois dire que le véritable trophée est la satisfaction de l'usager, constat que nous enregistrons régulièrement à travers les commentaires et suggestions consignées sur les registres de doléances qui se trouvent dans tous les services de l’établissement. Le prix WQC qui nous a été décerné par Business Initiative Directions et que nous allons recevoir à Paris en Octobre prochain, est d'abord la récompense méritée pour une Equipe avec un E majuscule : médicale, paramédicale, administrative et de soutien ; soudée, consciente des défis à relever pour une région qui accuse un retard énorme en infrastructures médicales et en ressources humaines spécialisées, mais consciente aussi des attentes nombreuses de sa population en termes d'offre de soins. C'est aussi une reconnaissance, par" un œil externe", aux efforts consentis par l'équipe en question pour atteindre des objectifs identifiés à l'avance et avec pertinence.
Ce qui veut dire qu’il y a eu des améliorations dans la prestation ?
Nous avons totalement métamorphosé" la donne" de l'offre de soins dans la wilaya de Béjaïa dans un délai très court, et tout cela a été remarqué par nos partenaires experts du CHU de Saint Etienne et de l’Hôpital manager de Paris mais aussi les tunisiens de Sousse. Vous vous rappelez les circonstances dans lesquelles nous étions venus en Novembre 2012 avec une crise larvée au niveau de la maternité de Targa Ouzemmour, où on allait mettre en péril la vie des parturientes. A cette époque, j'avais aussi appris, stupéfait, que les patients de la wilaya prenaient des rendez vous de consultation à quatre heures du matin au niveau des structures publiques et privées...Presque trois années sont passées et dans la vie d'une institution comme la nôtre, c’est très court. Pourtant jugez-en vous même de l'évolution et donnez moi votre avis: Nous sommes passés de 15 à 23 services Hospitalo-universitaires, nous avons triplé nos capacités litières en réanimation, créé le service de cardiologie, stratégique et capital en raison de la transition épidémiologique qui fait que plus de 50 % des urgences médicales sont d'origine cardio-vasculaire et nous sommes en phase de concrétiser le projet de cardiologie interventionnelle avec pose de Pace Maker, Coronarographie et cathétérisme cardiaque.
La formation des spécialistes en pédiatrie, chirurgie, hématologie, maladies infectieuses et neurochirurgie ont commencé dans notre ville. La résonnance magnétique nucléaire (IRM) est fonctionnelle depuis quelques mois et un scanner 64 barrettes sera installé incessamment dans le nouveau centre d'exploration du CHU. J'ajoute à cela que notre centre d'exploration sera unique en son genre. Il abritera l'imagerie au complet avec IRM, Scanner, mammographie, échographie, écho doppler et même la densitomètrie osseuse (DMO). Les explorations neuromusculaires (EEG, EMG et potentiels évoqués PEA, PEV, PES) et les explorations endoscopiques digestives et bronchiques, pédiatriques et adultes, viendront compléter nos possibilités diagnostiques au grand bénéfice des patients de la wilaya.
On rapporte çà et là que de
nombreux professeurs ont quitté le CHU en raison du problème du logement… Nous avons connu effectivement quelques difficultés en raison de la mauvaise affectation des 50 logements du lac Mezaia, situés à 800 mètres à vol d'oiseau du CHU, bloc qui était prévu pour les hospitalo-universitaires qui devaient encadrer le CHU et la Faculté de médecine. Le syndicat du CNES de l'Université de Béjaïa en a décidé autrement et s'est accaparé les 95% de ces logements au mépris de tout bon sens et de toute priorité pour notre région.Néanmoins, l'histoire retiendra l'aventurisme des uns, qui pouvait "tuer dans l'œuf" un projet déterminant pour des générations et surtout la contribution de chacun pour cette ville. Deux professeurs ont quitté Béjaïa: Pr Zoubir Kara en orthopédie et Pr Abdelmadjid Tabti en psychiatrie. Ils ont laissé un grand vide mais ils restent à la disposition de Béjaïa chaque fois que nous leur faisons appel. Je dois dire aussi que la décision de ces deux collègues est sûrement motivée par la possibilité qui leur est offerte pour occuper la chefferie de service au niveau de la capitale, l'un à Mustapha et l'autre à Cheraga. Par contre, je dois vous informer, si vous ne le savez pas déjà , que nous avons enregistré un renfort de qualité et une consolidation des services par les professeurs: Nouasria en maladies infectieuses, Berkane et Oudai en chirurgie générale, Tliba et Ait Bachir en neurochirurgie, Bouali en médecine interne, Ahmane en pédiatrie, Lakhdari en hématologie et très récemment Boudjenah en ORL et chirurgie cervico-faciale. D'autres professeurs sont venus prospecter les lieux pour éventuellement venir nous rejoindre et nous nous réjouissons d'emblée de cet intérêt pour Béjaïa. Nous ne devons pas oublier le renfort attendu en rangs magistraux "du cru", notamment ceux qui sont en finalisation de thèse et qui vont concourir prochainement au professorat, je veux parler des Docteurs: Hocine Hocine, Réda Fihri Boubzari, Madani Ikhlef et Smail Gani et j'oublie sûrement d'autres.
Ce même problème de logement ne risque t-il pas de détournerles maîtres assistants hospitalo-universitaires qui ont choisi Béjaïa ?
D'abord, je rends un hommage particulier à ces maîtres assistants qui ont bravé les distances, qui ont loué, ou bien pris des chambres d'hôtel à Béjaïa pour venir prêter main forte à leurs collègues pour prendre en charge la santé des citoyens de la wilaya. Je vous remercie d'aborder cette question car je dois les tranquilliser vu que nous avons œuvré depuis le conflit ouvert que nous avons eu avec le CNES à chercher des solutions de logements pour les praticiens du CHU qu'ils soient praticiens spécialistes ou bien hospitalo-universitaires. Notre démarche a été couronnée de succès car soutenue par les autorités locales, notre tutelle et le ministère de l'Habitat, pour peu que Monsieur le wali fasse aboutir une demande que nous avons formulée récemment pour une nouvelle dérogation de 22 logements. Nous pouvons avancer que ce problème sera définitivement réglé pour toutes les catégories de praticiens de notre établissement. Nonobstant cela et vu que nous disposons déjà de 50 logements, nous allons remettre les décisions d'affectation avant même la rentrée universitaire pour les cas les plus urgents. Notre tutelle a été informée et nous soutient entièrement dans cette démarche.
Le flux important des patients au CHU est une réalité. Comment gérez-vous cette situation ?
Le centre hospitalier universitaire Khellil Amrane de Béjaïa connaît en effet un flux important des patients. Ils viennent de Béjaïa ainsi que de Jijel, de Bouira, de Bordj Bou Arreridj et même de Sétif et Annaba parce qu’ils ont besoin de soins et pensent que l’unique et la plus accessible solution est le CHU qui dispose de plate-formes performantes pour prodiguer l’ensemble des soins. Je pense qu’il n’y a pas vraiment une solution idoine pour gérer le flux important des patients. Nous le gérons comme nous le pouvons quotidiennement et nous essayons de répondre aux besoins de nos patients. Nous sommes en train de mettre en place un système d’information pour gérer les rendez-vous et les agendas des services de santé. Mais avec le flux important des patients, nous nous retrouvons en difficulté avec des délais plus longs. Ce qui devient aujourd’hui gênant pour le CHU, qui est débordé par des pathologies relevant du secondaire et pouvant être traitées dans les hôpitaux publics de la wilaya et des autres villes limitrophes.
Cette situation est-elle dueau non-respect de la filière des soins ?
Le CHU a une dimension interrégionale et couvre un bassin de desserte de plus de 2 millions d’habitants si l'on comptabilise la wilaya de Béjaïa et une partie des wilayas limitrophes. Ce qui est très important par rapport à sa capacité litière: Nous disposons de moins de 500 lits d'hospitalisation. Nous sommes en train de gérer la problématique du flux important des patients avec la Direction de la santé de la wilaya, à sa tète Monsieur Mustapha Hamoumou, et avec les directions des EPH et EPSP avoisinantes. Nous avons besoin d’une cartographie médicale bien définie aussi bien en matière d’offre de soins qu’en matière des ressources humaines médicales qui permettent de dispenser les soins nécessaires. Et il y a urgence.
La carte sanitaire élaborée par la tutelle et défendue par Monsieur le ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf en personne, vient à point nommé. À titre d’exemple, aujourd’hui, la chirurgie programmée est parfois retardée au CHU parce que 80% des patients des services viennent via les urgences. C’est la première porte d’hospitalisation. Ce qui ne laisse pas la flexibilité et la possibilité au chef de service d'hospitaliser les malades avec des rendez-vous fixés à l’avance et perturbe la gestion du CHU. Ceci étant, nous essayons de prioriser les maladies lourdes et les maladies néoplasiques. Ajoutez à cela le déficit en salles opératoires dans cet établissement de 240 lits et vous pouvez comprendre aisément nos contraintes pour répondre aux besoins de nos usagers.
Est-ce qu'il y a une solution pour diminuer la pression sur le CHU de Béjaïa ?
La solution réside bien sûr dans la construction du nouveau CHU dont le site est définitivement retenu à Djebira. Néanmoins, la période des vaches maigres que connaît notre pays va sûrement retarder le projet et nous ne pouvons pas attendre. C'est la raison pour laquelle nous devons rechercher des solutions locales en accélérant la réception des structures en réalisation et en érigeant peut être un autre EPH de la wilaya en Unité hospitalo-universitaire. Tout ça a pour objectif l'amélioration et l'extension de la couverture médicale, la rentabilisation des structures mais aussi l'installation des équipes qui ne disposent pas de services dignes de ce nom pour leur épanouissement.
Cette problématique a-t-elle été abordée avec le ministère de tutelle ?
La question a été abordée dans le conseil scientifique, elle le sera en conseil d'administration une fois le projet muri. Le ministère de tutelle sera destinataire du projet par le biais de Monsieur le Directeur de la santé.
À votre avis, le projet du CHU est en bonne voie?
Oui il l’est. Du moins, c’est mon avis car le nouveau wali a reçu, parmi les membres de son exécutif, le directeur de la santé en premier. Ce dernier lui a exposé le problème de distraction du terrain agricole devant recevoir le CHU. Illico, il a téléphoné au ministre de l’Agriculture pour s’enquérir des suites réservées à cette demande. Il semblerait que c’est en bonne voie au même titre d’ailleurs que le centre anticancéreux d’Amizour.
Le mot de la fin…
Deux choses s'imposent à nous aujourd'hui: une régulation du système de santé et le respect par l'usager de la filière des soins pour libérer le CHU de nombreuses contraintes et lui permettre de se concentrer sur ses missions principales, à savoir le tertiaire, la formation et la recherche.
Entretien réalisé par A. Gana
Journal: la Dépêche de Kabyle
Edition du 19/08/2015